Les Congolais ont-ils eux-mêmes favorisé les régimes politiques des IIe et IIIe Républiques ? Telle est la question qui mériterait d’être posée, pour mieux appréhender l’avenir de la République Démocratique du Congo. Nul n’ignore que la spécificité du coup d’État classique réside dans un renversement du pouvoir par une personne investie d’une autorité de façon illégale. Deux processus permettent de démettre un pouvoir : soit la révolution, soit le putsch. Si la révolution est populaire, le putsch est réalisé par la force des armes. Dans un cas comme dans l’autre, l’objectif consiste avant tout à s’emparer des institutions de l’État, ou à les neutraliser. Quant au coup d’État non classique, sa sournoiserie réside dans la continuité, en changeant seulement la personne qui incarne l’exécutif. Cela s’est illustré lors de la succession de Laurent-Désiré Kabila, après son assassinat en janvier 2001. Mais un coup d’État, qu’il soit classique ou institutionnel, est toujours le résultat de quelques contextes plus ou moins isolés, voire complémentaires, locaux ou régionaux, continentaux ou extra-continentaux.
Les conséquences internes ou externes
Les causes d’un coup d’État sont d’ordre soit interne, soit externe. Sur le plan interne, l’action politique du régime mobutiste avait provoqué l’effondrement des pans entiers de l’appareil d’État. Par conséquent, la guerre soi-disant de libération a mis fin à l’État zaïrois. Dans la continuité, l’espoir suscité par la prise de pouvoir par Laurent-Désiré Kabila s’est néanmoins transformé en une très grande déception en l’absence d’ouverture politique tant reprochée au maréchal Mobutu et de recherche d’un consensus commun sur l’État à reconstruire. Incohérence et inconsistance des politiques, concentration, ethnicisation et personnalisation du pouvoir ont fini par provoquer mécontentements et dissensions.
Des causes externes peuvent aussi être à l’origine d’un coup d’État. La volonté de quelques multinationales extra-continentales de faire main basse, à moindre frais, sur les ressources naturelles congolaises a abouti à l’avènement de Laurent-Désiré Kabila en avril 1997. De la même façon que la visée expansionniste des voisins orientaux sont à l’origine de la déstabilisation de la région du Kivu. Dans la même otique, les dégâts collatéraux de l’affrontement entre citoyens rwandais ont généré des conséquences néfastes au-delà du Rwanda : la présence des FDLR dans le Kivu, les pillages, les crimes contre l’Humanité, l’instabilité du territoire congolais, l’extermination des autochtones...
Mes ces causes peuvent aussi être dues à la combinaison des faits à la fois internes et externes. Ainsi l’ingérence du Zaïre dans les affaires intérieures de ses voisins a servi de prétexte à l’Ouganda, au Rwanda et au Burundi pour chasser, par l’AFDL interposée, le maréchal Mobutu du pouvoir.
L’abrogation ou le tripatouillage de la Constitution
Le coup d’État classique génère systématiquement à un « vide » constitutionnel et institutionnel qu’il faudra régulariser à l’aide d’une une nouvelle Constitution légitimant le nouveau pouvoir. Ainsi la nomination de Moïse Antonin Kapenda Tshombe, comme Premier ministre, a-t-il permis la rédaction de la Constitution de Luluabourg. Mais le putsch du 24 novembre 1965 serait légitimé par la Constitution du 24 juin 1967. Dans le même ordre d’idées, l’accord global signé le 17 décembre 2002 à Pretoria a donné naissance à la Constitution du 18 février 2006. Celle-ci, à l’issue du « système 1 + 4 », n’a été conçue que pour asseoir le pouvoir du président de la République et imposer au peuple congolais des populations venues d’ailleurs. En réalité, plusieurs dispositifs de la Constitution de 2006 rendent à dessein ingouvernable la République Démocratique du Congo.
Force est de constater que le coup d’État institutionnel se prépare amont en modifiant, très souvent à l’approche d’enjeux électoraux, les règles établies. Ainsi a-t-on changé le mode du scrutin présidentiel en 2011, passant des deux tours à un seul tour. De la même façon que, pour garantir la victoire lors de prochaines élections, l’on a promulgué en mai 2015 une loi électorale ayant conditionné la caution pour la candidature à l’élection présidentielle à 100 000 dollars US et l’obligation de détenir un diplôme de licence, ou d’avoir exercé quelques fonctions étatiques pendant au mois 5 ans. C’est ainsi l’on s’est ingénié pour ne pas lever les problèmes techniques empêchant les Congolais de la diaspora d’être électeurs, donc éligibles. C’est ainsi que, pour empêcher une amélioration de la pratique politique et une évolution des mentalités quant à la gestion de la chose publique, l’on s’excelle dans l’espoir de priver les Congolais concernés par la double citoyenneté de la congolaise d’origine alors que celle-ci est inaliénable conformément à l’article 10-3 de la Constitution du 18 février 2006.
Une armée non citoyenne et une justice domestiquée
Un coup d’État classique, qu’il s’agisse d’une révolution ou d’un putsch, ne peut réussir que grâce à l’appui de l’armée. Celle-ci est indispensable pour contrôler le pouvoir civil et mâter les populations hostiles à la prise illégale du pouvoir, la finalité étant de rétablir à tout prix l’ordre. Après s’être emparé des organes centraux de l’État, les militaires à la solde du régime illégal arrêtent les gouvernants pour les empêcher d’organiser une riposte. Le président Joseph Kasa-Vubu et le Premier ministre Évariste Kimba Mutombo furent donc astreints à résidence surveillée après le putsch du 24 novembre 1965.
À la prise des bâtiments publics, le bras armé à la solde des putschistes ou des révolutionnaires s’adonnent au contrôle de différents médias. En effet, la maîtrise de la presse, de la radio et de la télévision peut permettre de donner à la population des informations propres à décourager toute tentative de riposte au coup d’État. Enfin, les auteurs d’un coup d’État prennent la précaution de couper ou d’accaparer les moyens de communication – limitation des appels téléphoniques ou mise sur écoute... –, de limiter l’accès à Internet, de brouiller les ondes des radios étrangères (allusion aux déboires de Radio France internationale) et de fermer les aéroports.
Le coup d’État institutionnel a surtout comme caractéristique l’élimination physique ou la neutralisation à court, moyen et long terme des acteurs ayant contribué à l’accession au pouvoir du nouvel homme fort, ainsi que la domestication de la justice. Le procès relatif à l’assassinant de Laurent-Désiré Kabila s’est terminé en queue de poisson, et les accusés sont toujours incarcérés. Les exemples sont légion, de 2001 à nos jours.
Les coups d’État sont habituellement effectués par des militaires contre des gouvernants civils. Quand il sont l’œuvre des civils, ils bénéficient du soutien d’une partie de l’armée. Pour faire accepter les résultats du coup d’État, leurs auteurs s’engagent à répondre aux vœux de la majorité de l’opinion publique tout en veillant à ce que ceux-ci soient compatibles avec le contexte régional, continental ou international. C’est ainsi que la succession de Laurent-Désiré Kabila avait obtenu l’aval des voisins rwandais, burundais et ougandais, des alliés de la SADC ainsi que des parrains extra-continentaux. Ces derniers devaient être favorables à cette entreprise, pour éviter la poursuite de la guerre et imposer à la République Démocratique du Congo le partage du pouvoir, à travers « le système 1 + 4 ». C’est dans ce contexte qu’a été confectionnée la Constitution qui serait ratifiée le 18 février 2006, et légalisé le coup d’État classique survenu en janvier 2001. Bref, tous les accords internationaux ont fini par être respectés.
La responsabilité du souverain primaire
Récemment, le peuple burkinabè a eu à deux reprises le courage de prendre en main sa destinée. En effet, après avoir chassé Blaise Compaoré du pouvoir, les Burkinabè se sont dressés sur le chemin des proches de l’ancien président qui ont tenté de mettre un terme à la présidence de transition. Certes, la communauté internationale, notamment la France, a permis le départ de Blaise Compaoré de la même façon qu’elle s’est montrée intransigeante, surtout les Américains, vis-à-vis des putschistes. Mais elle n’aura pas agi de la sorte si le peuple burkinabè n’avait pas montré sa détermination et son aspiration à un régime démocratique. Rien de tout cela ne s’est produit, ayons l’honnêteté de le reconnaître, en République Démocratique du Congo pendant les IIe et IIIe Républiques.
Au Burkina-Faso, l’opposition politique a su réagir pour faire échouer les différentes tentatives des coups d’État institutionnel et classique. Elle a su mettre de côté ses divergences pour défendre collectivement la chose publique. L’opposition burkinabè a su mener la bataille parlementaire dans l’hémicycle et la déplacer du Parlement à la rue. Minoritaire dans l’hémicycle, elle était devenue majoritaire dans la rue. Elle ne s’est distinguée par l’absentéisme dans l’hémicycle, surtout dans les moments décisifs.
Face à la faillite de la classe politique, la presse et la société civile doivent en principe livrer aux populations congolaises les réflexions et analyses susceptibles d’éclairer la prise de conscience. Mais, dans la plus grande majorité, la société civile court après les subventions gouvernementales tandis que les journalistes monnayent les articles et les interviews. Ainsi induisent-ils le peuple en erreur. Les prises de position des uns et les informations des autres n’étant pas objectifs, le jugement de l’homme ou de la femme de la rue ne peut qu’en pâtir.
Si l’on ne peut pas faire le bonheur des gens à leur place, il est évident que les peuples ont souvent les dirigeants qu’ils méritent. Le vrai problème ne réside pas tant dans la faillite de la classe politique congolaise, toutes tendances confondues. Pour faire efficacement face à la démission de la représentation parlementaire et aux dérapages gouvernementaux, le peuple congolais, qui plus est le souverain primaire, doit pouvoir découdre en toute légitimité ce qui a été mal ficelé au Parlement national et aux Parlements provinciaux. Il doit oser imposer sa volonté au gouvernement, en particulier, et à la classe politique, en général. Ainsi a-t-il intérêt à faire émerger un État de droit. Cela passera, compte tenu des lacunes de la Constitution du 18 février 2006, par l’instauration de la IVe République.
Gaspard-Hubert Lonsi Koko